Qui a déjà affronté les créations d’Eric Demelis retrouvera, à l’évidence, certains traits constitutifs de son œuvre. Il y’a d’abord un amour inconditionnel du dessin, celui de la face, du visage, pour l’essentiel. Les figures humaines pullulent, s’entrecroisent, s’entrelacent, jusqu’à former un vaste conglomérat qui va jusqu’à saturer l’espace de la représentation, bien que leur singularité demeure vivace. La société, le monde, la vie en somme, c’est ainsi. Comme le disait un grand philosophe du 17ème siècle, Spinoza, « des corps composent avec des corps ». On se frotte, s’accroche, se délie ou s’aime, c’est toujours sans le commandement de la rencontre qu’advient un machin-vivant. A côté de ces déroutantes agglomérations, de la place est faite pour des motifs particuliers, plus épurés, faces ou silhouettes.
Me touche particulièrement la série réalisée au crayon de couleur. Elle me fait irrésistiblement penser à l’Art africain, plus précisément à la statuaire de l’Ouest. Les traits y sont délibérément exagérés ou diminués, et dans cette métamorphose consentie, on parvient à une adéquation plutôt troublante ou tremblante, au réel du corps. Il y’a aussi cette belle conjugaison entre le texte et l’image avec les auteurs Armand Dupuy et Perrin Langda. Elle se réalise dans maints formats. On ne sait qui a initié l’un ou l’autre, mais peu importe au fond. Ce sont des adages, parfois des aphorismes, des formules banales qui se glissent au travers des têtes improbables. Car, qu’est-ce qu’une caboche, sinon un lieu où gisent et circulent, jour et nuit, des masses de propos incohérents, au mieux surréalistes. Ceci m’évoque le terme de « grotesque », dont il faut vérifier l’origine italienne indiquant la caricature. Il s’agit, ici ou là, d’ornements nés dans les grottes, lieux de recueillement. Aussi s’en tiendra-t-on à cette banale constatation. Le portrait n’existe pas pour magnifier la face humaine, selon un idéal classique, où elle constituerait l’essentiel de l’être. Vaille que vaille, pas question ici de faire grise ou triste mine, c’est juste du graphite ou de l’encre de chine. Quant à la tête qu’on a, la mérite-t-on ? A vous d’en décider.
Laurent Henrichs, 9 septembre 2017
Philippe CHAMBON
Dans une vie antérieure, Philippe Chambon a longtemps conduit des trains à grande vitesse. Mais dans une vie parallèle, tant il vouait une admiration à Fred, le prodigieux auteur de bandes dessinées, il aurait tout aussi bien pu être le conducteur de la lokoapattes, cet étonnant « train où vont les choses » qui apparaît dans l’ultime album que l’auteur a consacré aux voyages dans l’imaginaire de son héros Philémon. C’est dire que, d’emblée, Philippe a penché du côté d’une tendre fantaisie. Après avoir pratiqué un temps la BD en retraçant par des séries de gags les menues péripéties et les états d’âme de Fil de Fer, une sorte d’alter ego rêveur, il s’est ouvert aux expressions spectaculaires de l’art urbain et à l’inventivité désinhibée de l’art singulier, privilégiant dès lors le dessin libre et la peinture acrylique. En entrelaçant dans ses œuvres en un joyeux tohu-bohu, un méli-mélo foutraque, des figures de quidams et des animaux enfantins, il s’est créé un style caractérisé par une impression de germination spontanée, de combinatoire loufoque, de foultitude hétéroclite, le tout égayé d’une palette de couleurs explosives.